La biodiversité est un élément essentiel au bon fonctionnement des écosystèmes agricoles. Pourtant, l'intensification des pratiques ces dernières décennies a entraîné son érosion dans de nombreuses régions. Aujourd'hui, les agriculteurs prennent conscience de l'importance de préserver la faune et la flore sauvages sur leurs exploitations. Quelles sont les solutions concrètes pour favoriser la biodiversité tout en maintenant une activité agricole productive ? De l'aménagement du paysage aux pratiques culturales en passant par la protection d'espèces emblématiques, de nombreuses pistes existent pour concilier agriculture et biodiversité.
Principes agroécologiques pour la préservation de la biodiversité
L'agroécologie propose une approche globale visant à concevoir des systèmes de production agricole s'appuyant sur les fonctionnalités offertes par les écosystèmes. Elle cherche à amplifier ces fonctionnalités (recyclage des éléments nutritifs, lutte biologique, etc.) tout en diminuant les pressions sur l'environnement et en préservant les ressources naturelles.
Concrètement, cela passe par la diversification des cultures et des élevages, la réduction du travail du sol, la limitation des intrants chimiques, ou encore la mise en place d'infrastructures agroécologiques. L'objectif est de favoriser les régulations naturelles et de créer un agroécosystème résilient et productif.
Cette approche systémique permet de préserver et même d'améliorer la biodiversité sur l'exploitation. En diversifiant les habitats et en limitant les perturbations, on crée les conditions favorables au développement de nombreuses espèces animales et végétales, y compris des auxiliaires de culture comme les pollinisateurs ou les prédateurs de ravageurs.
Aménagements paysagers favorables à la faune et la flore sauvages
Au-delà des pratiques culturales, l'aménagement du paysage agricole joue un rôle crucial dans le maintien de la biodiversité. Plusieurs types d'aménagements permettent de diversifier les habitats et de créer des corridors écologiques essentiels aux déplacements de la faune.
Implantation de haies champêtres multi-strates
Les haies champêtres constituent de véritables réservoirs de biodiversité au sein des exploitations agricoles. Composées d'essences locales variées, elles offrent gîte et couvert à de nombreuses espèces animales tout au long de l'année. On distingue généralement trois strates dans une haie :
- La strate arborée, avec des arbres de haut jet comme le chêne ou le frêne
- La strate arbustive, composée d'arbustes comme le noisetier ou l'aubépine
- La strate herbacée, avec des plantes basses comme les graminées
Cette structure étagée permet d'accueillir une grande diversité d'espèces. Les oiseaux y trouvent des sites de nidification, les petits mammifères s'y abritent, tandis que les insectes pollinisateurs butinent les fleurs. Les haies jouent également un rôle de brise-vent et de régulation hydrique bénéfique aux cultures.
Création de zones humides et mares agroécologiques
Les milieux aquatiques sont particulièrement riches en biodiversité. L'aménagement de mares ou la préservation de zones humides sur l'exploitation permet d'accueillir de nombreuses espèces inféodées à ces habitats : amphibiens, libellules, plantes aquatiques, etc. Ces milieux jouent aussi un rôle important dans la régulation des eaux et l'épuration naturelle.
Pour être favorable à la biodiversité, une mare agroécologique doit présenter des berges en pente douce, une profondeur variable et une végétation diversifiée. Il est important de limiter l'accès du bétail à certaines zones pour préserver la végétation aquatique. L'entretien doit rester léger pour ne pas perturber l'écosystème.
Mise en place de bandes enherbées et jachères fleuries
Les bandes enherbées et les jachères fleuries constituent des zones refuge pour la petite faune et les insectes auxiliaires. Elles offrent des ressources alimentaires variées (graines, nectar) et des abris. Ces espaces non cultivés participent aussi à la lutte contre l'érosion et le ruissellement.
Pour maximiser leur intérêt écologique, il est recommandé d'utiliser des mélanges d'espèces locales adaptées au sol et au climat. La fauche doit être tardive (après la mi-juillet) pour permettre aux plantes de fleurir et de grainer. Une fauche haute (10-15 cm) préserve la base des plantes et les insectes qui s'y abritent.
Restauration de corridors écologiques entre parcelles
La fragmentation des habitats est l'une des principales menaces pour la biodiversité. La restauration de corridors écologiques entre les parcelles permet aux espèces de se déplacer et d'échanger des gènes, ce qui est essentiel à leur survie à long terme. L'idéal est de créer un maillage connectant les différents habitats de l'exploitation (bois, prairies, zones humides) et s'intégrant dans la trame verte et bleue à l'échelle du territoire.
Pratiques culturales respectueuses de la biodiversité
Au-delà des aménagements paysagers, les pratiques culturales ont un impact direct sur la biodiversité présente dans les parcelles. Plusieurs approches permettent de concilier production agricole et préservation de la faune et de la flore.
Rotation des cultures et diversification des assolements
La diversification des cultures et l'allongement des rotations sont bénéfiques à plusieurs titres. Ils permettent de rompre les cycles des bioagresseurs, de diversifier la flore adventice, et d'offrir des habitats et ressources variés à la faune auxiliaire. Une rotation équilibrée inclut idéalement :
- Des cultures d'hiver et de printemps
- Des céréales et des légumineuses
- Des cultures sarclées et non sarclées
L'introduction de prairies temporaires dans la rotation est particulièrement intéressante pour la biodiversité. Elle permet de reconstituer la matière organique du sol et d'héberger de nombreuses espèces pendant plusieurs années.
Réduction des intrants chimiques et lutte biologique
La réduction de l'usage des pesticides est un levier majeur pour préserver la biodiversité dans les parcelles agricoles. Plusieurs approches complémentaires peuvent être mises en œuvre :
- Utilisation de variétés résistantes aux maladies
- Mise en place de méthodes de lutte biologique (ex : lâchers d'auxiliaires)
- Désherbage mécanique ou thermique
- Application en dernier recours de produits phytosanitaires ciblés et à faible impact
La fertilisation raisonnée, basée sur des analyses de sol et l'utilisation d'engrais organiques, permet également de limiter les impacts sur la biodiversité tout en maintenant la productivité des cultures.
Techniques de travail du sol simplifiées et semis direct
Le labour profond et répété perturbe fortement la vie du sol. Les techniques de travail simplifié (TCS) ou le semis direct sous couvert visent à préserver la structure et la biodiversité du sol. Ces pratiques consistent à limiter le travail mécanique et à maintenir une couverture végétale permanente.
Les bénéfices pour la biodiversité sont nombreux :
- Préservation des vers de terre et autres organismes du sol
- Augmentation de la matière organique en surface
- Amélioration de la capacité de rétention d'eau
- Réduction de l'érosion
Ces techniques demandent cependant une période d'adaptation et une bonne maîtrise technique pour gérer les adventices sans recourir aux herbicides.
Agroforesterie et cultures associées
L'agroforesterie consiste à associer des arbres aux cultures ou aux pâturages. Cette pratique permet de diversifier les habitats et les ressources disponibles pour la faune. Les systèmes agroforestiers peuvent prendre différentes formes :
- Alignements d'arbres dans les parcelles cultivées
- Haies brise-vent autour des parcelles
- Arbres isolés dans les prairies
- Vergers pâturés
Les bénéfices pour la biodiversité sont multiples : abris pour les oiseaux et les chauves-souris, ressources pour les pollinisateurs, création de microclimats favorables à certaines espèces, etc. L'agroforesterie contribue également à stocker du carbone et à améliorer la résilience du système face au changement climatique.
Conservation des espèces emblématiques et menacées
Au-delà de la biodiversité ordinaire, certaines espèces rares ou menacées nécessitent des mesures de conservation spécifiques en milieu agricole. Leur préservation passe souvent par des partenariats entre agriculteurs, naturalistes et pouvoirs publics.
Programmes de protection de l'outarde canepetière
L'Outarde canepetière est un oiseau emblématique des plaines céréalières, en forte régression depuis plusieurs décennies. Des programmes de conservation associent agriculteurs et ornithologues pour préserver ses habitats. Les mesures mises en place incluent :
- Le maintien de zones enherbées favorables à la nidification
- Le retard de fauche des prairies
- La limitation des traitements insecticides
- La mise en place de cultures favorables (luzerne, colza)
Ces actions bénéficient également à d'autres espèces des milieux ouverts comme l'Œdicnème criard ou les busards.
Mesures pour la sauvegarde des pollinisateurs sauvages
Le déclin des pollinisateurs sauvages (abeilles solitaires, bourdons, papillons) est particulièrement préoccupant pour la biodiversité et l'agriculture. Plusieurs mesures peuvent être mises en œuvre pour favoriser ces insectes :
- Implantation de bandes fleuries avec des espèces mellifères locales
- Préservation de zones non fauchées (bords de champs, talus)
- Installation d'abris à insectes (« hôtels à insectes »)
- Réduction drastique de l'usage des insecticides
Ces aménagements profitent également à de nombreuses autres espèces d'insectes auxiliaires des cultures.
Préservation des chauves-souris et installation de gîtes
Les chauves-souris jouent un rôle important dans la régulation des insectes, notamment des ravageurs nocturnes. Leur préservation passe par plusieurs actions :
- Conservation des vieux arbres creux et des bâtiments favorables
- Installation de gîtes artificiels (nichoirs)
- Maintien de corridors boisés pour leurs déplacements
- Limitation de l'éclairage nocturne
La présence de points d'eau (mares, étangs) est également importante pour ces mammifères qui viennent s'y abreuver et chasser les insectes.
Outils de diagnostic et de suivi de la biodiversité agricole
Pour évaluer l'impact des pratiques sur la biodiversité et suivre son évolution, plusieurs outils sont à la disposition des agriculteurs et des gestionnaires.
Protocoles de l'observatoire agricole de la biodiversité
L'Observatoire Agricole de la Biodiversité (OAB) propose des protocoles simples permettant aux agriculteurs de suivre certains groupes d'espèces indicatrices sur leurs parcelles :
- Transects papillons
- Placettes vers de terre
- Planches à invertébrés
- Nichoirs à abeilles solitaires
Ces protocoles permettent de sensibiliser les agriculteurs à la biodiversité présente sur leurs exploitations et de mesurer l'impact de leurs pratiques dans le temps.
Indicateurs agro-environnementaux de la méthode IDEA
La méthode IDEA (Indicateurs de Durabilité des Exploitations Agricoles) intègre plusieurs indicateurs liés à la biodiversité dans son évaluation globale de la durabilité des exploitations :
- Diversité des cultures annuelles et temporaires
- Diversité des cultures pérennes
- Diversité animale
- Valorisation et conservation du patrimoine génétique
- Assolement et dimension des parcelles
- Gestion des matières organiques
- Zones de régulation écologique
Ces indicateurs permettent d'avoir une vision d'ensemble de la contribution de l'exploitation à la préservation de la biodiversité.
Cartographie des infrastructures agroécologiques
La cartographie des éléments fixes du paysage (haies, bosquets, mares, etc.) permet de visualiser le maillage éc
ologique de l'exploitation et d'identifier les zones à enjeux pour la biodiversité. Plusieurs outils sont disponibles :
- Logiciels de SIG (Système d'Information Géographique)
- Applications smartphone dédiées
- Relevés GPS sur le terrain
Cette cartographie permet de planifier les aménagements à réaliser pour renforcer la trame verte et bleue sur l'exploitation. Elle sert également de base pour le suivi de l'évolution des infrastructures agroécologiques dans le temps.
Cadres réglementaires et incitatifs pour la biodiversité
Différents dispositifs réglementaires et incitatifs existent pour encourager les agriculteurs à mettre en place des pratiques favorables à la biodiversité.
Mesures agro-environnementales et climatiques (MAEC)
Les MAEC sont des contrats de 5 ans proposés aux agriculteurs pour adopter des pratiques plus respectueuses de l'environnement. Plusieurs MAEC ciblent spécifiquement la préservation de la biodiversité :
- MAEC "Systèmes herbagers et pastoraux" pour le maintien des prairies
- MAEC "Systèmes polyculture-élevage" favorisant la diversification
- MAEC localisées pour la protection d'espèces ou d'habitats spécifiques
Ces mesures compensent financièrement les surcoûts et manques à gagner liés à l'adoption de pratiques plus vertueuses. Elles jouent un rôle important dans le maintien de systèmes agricoles extensifs favorables à la biodiversité.
Certification haute valeur environnementale (HVE)
La certification environnementale des exploitations agricoles, et notamment son niveau 3 dit "Haute Valeur Environnementale" (HVE), vise à valoriser les pratiques particulièrement respectueuses de l'environnement. La biodiversité est l'un des quatre thèmes évalués, aux côtés de la stratégie phytosanitaire, de la gestion de la fertilisation et de la gestion de l'irrigation.
Pour obtenir la certification HVE, l'exploitation doit atteindre un score minimum sur chacun de ces thèmes. Cette certification permet de valoriser les efforts des agriculteurs auprès des consommateurs, via un logo apposé sur les produits.
Paiements pour services environnementaux (PSE)
Les PSE sont un nouvel outil visant à rémunérer directement les agriculteurs pour les services écosystémiques rendus par leurs pratiques.
Contrairement aux MAEC qui compensent des surcoûts, les PSE visent à créer un véritable marché des services environnementaux. Leur mise en place est encore expérimentale mais pourrait offrir de nouvelles perspectives pour valoriser économiquement la biodiversité sur les exploitations.
En conclusion, la préservation de la biodiversité en milieu agricole nécessite une approche globale, alliant aménagements paysagers, pratiques culturales adaptées et dispositifs incitatifs. Si des progrès restent à faire, de nombreux agriculteurs s'engagent aujourd'hui dans cette voie, conscients des bénéfices à long terme pour leurs exploitations et les écosystèmes.